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Page:Beecher Stowe - La fiancée du ministre, 1864.djvu/29

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elle embrassait cette idée avec une sorte de joie sublime, telles que certaines natures la ressentent en face d’un grand sacrifice. Mais quand elle voyait autour d’elle les bonnes et vivantes figures de ses parents, de ses amis, de ses voisins, et qu’on lui montrait les gens qu’elle aimait comme placés entre des destinées si effroyablement différentes, elle sentait les murs de sa foi se resserrer sur elle comme une cage de fer. Elle s’étonnait que le soleil pût briller d’une si vive clarté, les fleurs se revêtir de si splendides couleurs, tant de parfums embaumer l’air, les petits enfants jouer, la jeunesse aimer et espérer, et tant d’influences séductrices se réunir pour dérober aux victimes la pensée que leurs premiers pas pouvaient les précipiter dans les horreurs d’un abîme sans fin. L’élan de la jeunesse et de l’espérance était glacée en elle par le chagrin qui pesait continuellement sur son cœur. C’était seulement au milieu de ses prières et dans l’accomplissement de quelque acte d’amour et de charité, ou dans la contemplation de ce beau jour du millenium dont son guide spirituel se plaisait à l’entretenir, qu’elle avait la force de se réjouir et de se sentir heureuse.

Parmi les jeunes compagnons de Marie, il y en avait un qui, dans son enfance, avait été pour elle un frère. C’était le fils d’un cousin de sa mère, en sorte que, par privilège de parenté, il avait toujours eu un libre accès dans la maison de mistress Scudder. Il s’embarqua, comme faisaient presque tous les jeunes gens hardis et résolus de Newport, et rapporta des pays étrangers ces nouvelles façons de parler, ces nouveaux yeux pour envisager les opinions et les coutumes reçues, qui blessent si souvent les préjugés établis, en sorte qu’il était regardé comme un impie par les cercles religieux les plus austères de sa ville natale. Mistress Scudder, maintenant que Marie n’était plus une enfant, surveillait d’un œil sévère ce jeune cousin. Elle avait prémuni sa fille contre le danger de le voir trop souvent et trop familièrement, en sorte que… nous savons tous ce qui arrive quand on avertit constamment une jeune fille de ne point penser à un jeune homme. Marie, la plus consciencieuse et la plus obéissante petite personne qui fût au monde,