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Page:Bellegarigue - L'Anarchie journal de l'ordre, vol1 et 2, 1850.djvu/18

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L'ANARCHIE

fortune publique sans prêter le flanc à une discussion de laquelle vous ne sortiriez pas ingambes. Je me sens personnellement disposé à prouver, clair comme le jour, votre impéritie sur ce point et votre propre conservation vous ferait un impérieux devoir de me faire taire, sans compter que vous feriez bien.

La presse ne serait donc pas libre, pour cause de budget. Aucun gouvernement à gros budget ne peut proclamer la liberté de la presse ; cela lui est expressément défendu. Les promesses ne vous manqueront pas ; mais promettre n’est pas tenir, demandez à M. Bonaparte.

Vous garderez évidemment le ministère de l’instruction publique et le monopole universitaire ; seulement, vous dirigerez exclusivement l’enseignement dans le sens philosophique, déclarant une guerre atroce au clergé et aux jésuites, ce qui fait que je deviendrai jésuite contre vous, comme je me fais philosophe contre M. de Montalembert, au nom de ma liberté, qui consiste à être ce qu’il me plaît d’être, sans que ni vous ni les jésuites aient rien à y voir.

Et les cultes, aboliriez-vous le ministère des cultes ? J’en doute. Je m’imagine que, dans l’intérêt des gouvernomanes, vous créeriez plutôt des ministères que d’en supprimer. Il y aurait un ministère des cultes comme aujourd’hui et je payerai le curé, le ministre et le rabin parce que je ne vais ni à la messe, ni au prêche, ni à la cène.

Vous conserveriez le ministère du commerce, celui de l’agriculture, celui des travaux publics, celui de l’intérieur surtout, car vous auriez des préfets, des sous-préfets, une police d’État, etc., et en gardant et dirigeant tous ces ministères, qui constituent précisément la tyrannie d’aujourd’hui ; cela ne vous empêcherait pas de dire que la presse, l’instruction, les cultes, le commerce, les travaux publics, l’agriculture sont libres. Mais on en dit autant dans ce moment. Que feriez-vous qu’on ne fasse pas à l’heure qu’il est ? Ce que vous feriez, je vais vous le dire au lieu d’attaquer, vous vous défendriez.

Je ne vous vois d’autres ressources que de changer tout le personnel des administrations et des parquets, et d’agir à l’égard des réactionnaires comme les réactionnaires agissent envers vous. Mais ceci ne s’appelle pas gouverner, ce système de représailles constitue-t-il le gouvernement ? Si j’en juge par ce qui se passe depuis quelques soixante ans, si je me rends bien compte de la seule chose que vous ayez à faire en devenant gouvernement, j’affirme que gouverner n’est rien autre chose que se battre, se venger, châtier. Or, si vous ne vous apercevez pas que c’est sur nos épaules que vous êtes battus et que vous battez vos adversaires, nous ne saurions, pour notre part, nous le dissimuler et j’estime que le spectacle doit tirer à sa fin.

Pour résumer toute l’impuissance d’un gouvernement, quel qu’il soit, à faire le bien public, je dirai qu’aucun bien ne peut sortir que des réformes. Or, toute réforme étant irrémissiblement une liberté, et toute liberté étant une force acquise au peuple et, par contre, une atteinte à l’intégrité du pouvoir,il s’ensuit que la voie des réformes qui, pour le peuple, est la voie de la liberté, n’est, pour le pouvoir, que la voie fatale de la déchéance. Si donc, vous disiez que vous voulez le pouvoir pour opérer des réformes, vous avoueriez du même coup que vous voulez atteindre la puissance dans le but prémédité d’abdiquer la puissance. Outre, que je ne trouve pas dans moi assez de sottise pour vous croire autant d’esprit que cela, je découvre qu’il serait contraire à toutes les lois naturelles ou sociales et principalement à celle de la conservation propre, à laquelle nul être ne peut faillir, que des hommes investis de la puissance publique se dépouillassent, de leur plein gré, et de l’investiture et du droit princier