Page:Belloy - Christophe Colomb et la decouverte du Nouveau Monde, 1889.djvu/103

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rience qu’ils n’oseraient pas le poursuivre dans la direction où il s’élançait. Entre eux et lui blanchissaient déjà les premières vagues de ces mers inconnues, immenses, objet des terreurs de l’humanité tout entière, un homme excepté ; ces vagues, extrêmes limites où s’étaient arrêtés les plus fiers courages, et où le sien n’avait jamais vu, ne voyait encore, en les franchissant, qu’un point de départ.

Là, en effet, commençait réellement le voyage de découvertes ; là s’ouvrait ce livre sans fin où l’imagination de l’homme avait figuré sa soif et son horreur de l’inconnu, en un confus amas d’images terribles ou riantes, sublimes ou grotesques, suivant l’esprit de chaque race et de chaque génération.

La Grèce s’y reconnaissait à quelques lignes pures, empreintes à demi effacées de son doux et mâle génie ; l’Orient des kalifes y déroulait la savante confusion de ses arabesques, de ses dogmes et de ses contes ; l’Inde et l’antique Égypte, leurs processions de dieux fauves, de poissons-dieux, de fleurs-déesses, flottant sur des mers de lait ou de pourpre, et d’où sortent des sphinx au sourire perfide, à l’œil doux ; enfin le moyen âge, de son doigt trempé dans l’encre et le sang, y avait griffonné des légions de spectres et de diables, et fait du tout ce barbouillage si bien désigné sur les cartes du temps par le nom de mer Ténébreuse.

Sur cette mer, à peine éclairée d’un jour crépusculaire, s’affaiblissant de plus en plus vers l’occident, voguaient, nageaient, volaient serpentaient, grouillaient tous les monstres enfants de la peur. L’immense nautile aux voiles membraneuses, et qui, d’un seul coup de ses avirons animés, eût fait chavirer la Sainte-Marie ;