Page:Belon - L’histoire naturelle des estranges poissons marins.djvu/10

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nature : Car pour y avoir plus grand gain, ils le feront porter aus villes de terre ferme, le voulãts consacrer quasi cõme chose vouee, ceuls qui ont plus d’argent en leurs bourses pour en acheter. Et encores qu’on en puisse bien recouvrer, scavoir est qu’il ne soit tant rare de soymesme, toutesfois son excellence le fait sembler pretieus & principalement s’ils l’apportent aus iours maigres : esquels iours on ne faict festins ne nopces, qu’on puisse vanter avoir esté sumptueus, si on n’y a mangé du Daulphin : non pas que les Françoys le cognoissent & le nomment de telle dictiõ de Daulphin, mais comme i’ay desia dict, touts l’appellent d’une voix estrange qui n’est pas Frãçoyse, ains empruntee des estrangiers. Voyla donc comme le Daulphin reste en toutes qualitez en son entier, excepté qu’on luy a mué son nom. Car comme ie diray ci apres faisant distinction de son gẽre par les especes, il est impropremẽt nõmé en Frãçoys. Vray est que ceuls qui le nõmẽt plus propremẽt que les autres, l’appellent une Oye. Mais pour ce ce que nom n’est asses entendu, i’en parleray par apres generalement & plus amplement.

IIII.

Quil n’y ait que les hommes de la religion Latine qui mãgent du Daulphin, & que les nations du pais du levant n’en mangent aucunement.

Apres que i’ay dict que le Daulphin soit singulier es delices de nostre natiõ, ie n’ay voulu passer oultre, sãs y adiouster ce que i’en ay trouvé es autres pais : qui sera bien propos contraire touchant ce poinct. Car comme il soit delicat entre les Françoys, & qu’il tienne le premier lieu entre les poissons, les estrangiers ne pourrõt lire ceste clausule sans s’en emerveiller, veu mesmemẽt que toutes les nations du levant estiment une chose cruelle, & a euls abominable, d’outrager un Daulphin, & par consequent ils s’abstiennent du tout d’en manger. Et commenceray par les Grecs, desquels la superstition est accreve entre euls plus grande qu’elle ne fut iamais, & principalement touchãt le boire & le mãger. Car encore pour le iourd’hui, ils s’abstiennent entierement tout le temps de leurs quaresmes de manger poisson qui ait sãg aussi ne vouldroyent gouster de la chair du Daulphin, quand ils debveroient mourir de faim. Et quand on leur en demande la raison, ils ne scavent alleguer sinon qu’ils tiennent cela par usage, suivant les fables dont ie parleray cy apres. Et a mon