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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

Voici la mer, la plage, les voiles sur les vagues. Il fait arrêter ; il saute à terre.

— Croyez-vous, me dit-il, que j’ai été un crétin de m’escrimer pendant trente ans à faire fabriquer des décors ! Le cinéma, maintenant, se fout de moi : il me dit : « Vieux daim, tu ne t’attendais pas à celle-là ? Moi, je te fais jouer des pièces dans la Nature, la vraie… » Il va plus loin : la pièce qu’il me force à jouer, c’est celle qui m’a le plus humilié de toute ma carrière : l’Arlésienne, — belle chose, c’est entendu ! — mais pendant mes sept ans d’Odéon, tandis que je me crevais à monter des chefs-d’œuvre que tous les salauds du public ne voulaient voir sous aucun prétexte, elle était toujours là, la garce, à me faire de l’œil : « Prends-moi encore un soir ; ton théâtre sera plein ! » Je la reprenais, il était bondé… et je pestais. Et maintenant, c’est avec elle encore que j’arrive aux Saintes-Maries, mais cette fois je trouve tout épatant, et nous allons vivre une journée… comme n’en méritent pas les andouilles que je