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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

soudain, derrière des tamaris, apercevons un troupeau de chevaux gris et de taureaux noirs.

— Voici, dit le marquis, c’est ma manade.

— Épatant ! fait Antoine.

Il y a dans ce mot bref une naïve admiration, en même temps que : « Je connais ça ! »

Le marquis, qui tient sa noblesse personnelle pour inséparable des gloires de la Provence, essaye, depuis la guerre, qui semblait avoir tout ruiné, de reconstituer cette race de cavales et de taureaux de courses. En sorte que ce troupeau, immobile et comme égaré, prenant l’air et le soleil sur une terre sèche qu’empâtent des paquets de bouse, c’est l’espoir de fêtes et de jeux, prochains et nouveaux dans la tradition du passé. La Provence est un pays que la réalité n’explique pas toute : il faut partout rêver sur elle. Dans la tête de ce marquis souriant, quelle imagination travaille ? Il est loin d’être le marquis habituel des images ; c’est le gardien-chef d’une manade. Quelle passion le soutient et le conduit ?…