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GRANDGOUJON

de cette voie démocratique, et je vous offre, messieurs, à la terrasse du café que voici, de nous griser de compagnie avec des boissons fortes !

Sur ces mots, il roula des prunelles avides, et ses narines s’ouvrirent.

Grandgoujon, joyeusement, souffla à Quinze-Grammes :

— Il est prodigieux !

L’autre entendit, et, s’asseyant :

— Je ne suis pas prodigieux ; mais… j’ai une qualité, Monsieur : je me fous du monde !

Il avait l’air ingénu :

— Je ne dessèche pas, ronronna-t-il, à l’idée de devenir grand officier de la Légion d’Horreur, ou membre de l’Estitut. En sorte que je n’ai à lécher les bottes d’aucun personnage officiel de notre sainte République, et un jour que dans une fête nationale, une jeune dame, pour qui j’étais enflammé d’amour, me poussait le coude avec frénésie, répétant : « Ton chapeau ! Enlève ton chapeau ! Voici Poincaré ! » j’ai répondu avec ma noble candeur : « Poincaré ? Qui est-ce donc ?… » Je ne le sais d’ailleurs toujours pas, et en attendant que je l’apprenne, saoulons-nous, Messieurs, saoulons-nous ! La saoulerie c’est béatitude de l’âme et délices du corps. Que prenez-vous, cher avocat ?

— Moi, dit Grandgoujon, se frottant les mains, un G. V. C.

— Quoi ? Oh ! horreur !

— Ce n’est pas un garde-voie de communication, reprit Grandgoujon, content de son effet, c’est… un grand vermouth-cassis.