Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
GRANDGOUJON

ferai pas zigouiller pour des Boches : je ne remonte plus !

Grandgoujon écoutait, médusé. Un officier sourit. Le représentant cria :

— Et je me fiche de ce qu’on pense !

Sur cette déclaration héroïque, un gaillard coiffé d’un bonnet de loutre s’approcha :

— Je suis de votre avis. Je vous serre la main. Je représente les biscuits.

— Et… combien coûte un coup de canon ? balbutia le vieillard.

Tous ces hommes se pressaient ainsi sous terre, dans la terreur qu’ils avaient d’y être ensevelis pour jamais, et le premier danger passé, ils retrouvaient avec leur voix leurs pauvres idées, douloureuses à force d’être comiques mal à propos. Deux heures durant, ils restèrent à prêter l’oreille, à se regarder, à dire des balourdises. Enfin, comme plusieurs officiers, silencieusement, avec leurs femmes, avaient quitté la cave, le patron, doctoral, déclara :

— Les Boches sont couchés : remontons.

Il suffit d’un homme qui décide : les autres obéissent. Mais Grandgoujon, soucieux, demanda dans l’escalier :

— Est-ce sûrement fini ?…

Puis il alla aussi se recoucher, et dans la tiédeur des draps, sa crainte s’assoupit.

Deux heures. Nouveau bond dans son lit ! La sirène — dont on avait parlé dans la cave — lugubre, la sirène faisait vibrer les vitres et l’air en frémissait.