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GRANDGOUJON

dont l’huile dégouttait, et tenta de se disculper ; mais l’officier, déjà loin, menaçait en faisant des gestes.

Plein d’amertume, il pensa alors à Colomb avec bienveillance. Que de ridicules chez ce nerveux ; mais il était bon : sa mine brouillée marquait la bile qu’il se faisait pour les autres. « Pourvu, se dit Grandgoujon, qu’il me tire de mon fourbi ! »

Puis, rageur :

— Moi qui serais prêt à tout… si on m’utilisait !

En attendant, il était convoyeur. Il s’en alla donc vers les hommes d’équipe qui avaient mission de faire sortir les wagons des voies où ils semblaient garés pour l’éternité, et, timide, il leur dit :

— Messieurs, faites sortir le mien… je vous paie un litre.

À quoi ils ricanèrent :

— Un litre ?… Y en a qu’en payent deux pour qu’on les laisse !

Grandgoujon fut écœuré jusqu’à l’âme. C’était ça l’esprit français, l’activité française, les chemins de fer français, les convois de la France ! Ah ! il n’avait plus qu’une idée : redormir, lorsqu’il sut que son wagon venait d’être accroché à quelque train en partance.

— Pour où ?

— Le Bourget.

Il se moquait de tout. Il se laissa ballotter jusqu’au Bourget. Voyage de cinq heures : tous les cent mètres le train stoppa. Il eut le temps de causer avec un territorial qui fumait le long de