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GRANDGOUJON

de mauvais bougre. Il courut à l’État-major, installé dans une villa cossue. Les murs de l’antichambre étaient encore tapissés de scènes de chasse, mais on avait retiré les tapis. Le colonel devisait avec un vieux sous-lieutenant.

Il continua quelque temps, puis dit :

— Qu’est-ce que tu demandes ?

Grandgoujon tendit sa lettre. « Mon Dieu ! », soupira-t-il. Puis, fatigué :

— Qu’est-ce que vous lui voulez au commissaire de gare ?

— Mon colonel, c’est pour un wagon… Je suis convoyeur.

— Attendez dans l’antichambre.

— Merci, mon colonel.

Grandgoujon sortit. Le planton lui dit :

— T’attends ?… L’est bath, hein, l’colonel ?

Il avait l’air illuminé, ce planton.

Un quart d’heure après, sonnerie ; le planton se rua chez l’officier supérieur, et ressortit, rouge d’émotion, tenant une feuille, sur laquelle il y avait : Note de service, et cette phrase gribouillée : Prière au commissaire de gare de recevoir le soldat porteur de ce mot. Dessous, une griffe, tracée d’un coup de patte de chat : « Colonel de Florimond ».

— Un quart d’heure pour pondre ça ! Pignouf ! dit Grandgoujon, se dirigeant vers la gare.

Grandgoujon, dont l’esprit pourtant ne semblait pas destiné aux révolutions, évoluait douloureusement : il n’avait plus de tendresse pour les mi-