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GRANDGOUJON

— Il sent bon, ton frichti !

— Ah ! reprit l’autre, heureux, j’ fricote ça pour les p’tits d’la jeune classe. L’ commandant les soigne en père ; il m’a dit : « Paillot, faut t’ démener pour mes gosses. » J’ai dit : « Ça va ! » Un jour, j’leur fait d’la viande sur d’la salade, un aut’e jour aux pommes, un aut’e jour sauce piquante ; aussi tu parles s’ils m’aiment !

— Je les approuve, dit vigoureusement Grandgoujon.

Cette phrase lui valut une gamelle de choses mêlées, qu’il trouva succulentes.

— Épatant ! mâchonnait-il ; ça ce n’est pas de l’eau de vaisselle !

Il avait le ventre plein, quand son camion se montra.

— Tu montes ? dit le chauffeur. Allez, grouillons !

Il se hissa.

— Au revoir ! cria-t-il au territorial.

La bâche lui retomba sur le nez, coupant sa phrase, et il commença d’être secoué furieusement dans ce véhicule ivre, qui s’en allait de droite et de gauche, sur une route pareille à un terrain volcanique, quoiqu’en apparence elle fût tout unie, car les trous y étaient comblés d’une boue liquide.

On traversait une plaine lugubre de terres détrempées. Le Nord. La Somme. Pays nu qui s’étale monotone, sans qu’aucune fantaisie naturelle vienne l’orner. Grandgoujon n’eut pas le loisir d’être mélancolique : durant le trajet il n’eut