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GRANDGOUJON

le patron, fut atterré pour la première fois de sa vie de ne pas se faire entendre, et il se sentit honteux d’être pris pour un soldat, sans en être un.

Il rentra, frémissant.

— Ça durera trois semaines, dit-il à sa mère. Je veux me battre !

Suffoquée, elle répondit :

— Te battre !… À quarante ans !

Alors il fut très digne :

— Je ferai ce que je pourrai, qui sera ce que je devrai.

Trente mois après ce dialogue, Grandgoujon était encore chez lui.

Mais il n’avait pas revu le patron, sur le conseil de Madame Creveau — la pauvre Madame Creveau — femme anémique et craintive, comme fondue sous les orages de son mari, et qui gardait des allures de chatte fuyarde et terrifiée. Presque quotidiennement elle se réfugiait chez Madame Grandgoujon mère, douce et compatissante, et près d’elle se remettait de sa torpeur effrayée, devenant expansive, presque hardie, puisqu’elle se permit de conseiller :

— Surtout que votre fils ne revoie pas mon mari ! Il faut lui laisser croire ce qu’il croit. C’est un homme qui n’aime pas s’être trompé.

À ces mots, Grandgoujon sentit plus au vif encore que, n’être pas mobilisé était une situation fâcheuse. « Pourtant, se disait-il, elle est légale ! » Mais aussitôt il songeait : « Peut-être qu’en demandant… en m’engageant… S’engager ! En-