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GRANDGOUJON

un gros homme en rose : la corpulence, ton air… En rose, que tu serais farce !

Ils s’éloignèrent des voitures. Grandgoujon se retournait. Laboulbène poursuivit :

— Je n’ai pas des atomes combinés comme les tiens. Je me suis cru une vocation : photographe ambulant. J’ai déambulé de Cahors jusqu’aux Indes, des Indes à Chicago, de Chicago vers Moscou, Agitation pour rien. Je ne savais pas photographier : je pensais à autre chose. Même en te parlant, d’ailleurs, je pense à autre chose.

— À quoi donc ? dit Grandgoujon essoufflé.

— Je pense que je voudrais penser à une troisième chose.

— Eh bien, vous savez… dit Grandgoujon.

— Tutoie-moi ! dit Laboulbène.

— J’allais vous le demander, dit Grandgoujon. Car vous êtes formidable !

— Comment formidable ?

— C’est un ami comme toi qu’il me faudrait !

— Eh bien, mon cher, tope là ! Tu dois être une bonne poire.

Grandgoujon sourit et reprit :

— Penser à autre chose… moi, je ne pense pas souvent.

— Qui te force, en tout cas, de penser à ce qui t’embête ? La nuit, c’est long, mais tu dors. En dormant, si le Diable t’inspire, tu rêves. Et en rêvant, si tu es poète, tu crois jouir du soleil.

— Oh !

— Quoi ?

— Nous sommes repérés, cria Grandgoujon,