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GRANDGOUJON

Oui, enterré vivant : l’homme du Midi avait raison. À quoi tient la vie !

Puis à cet infirmier il demanda une carte ; il écrivit à sa mère : « Suis encore sain et sauf. Arriverai bientôt. Grandgoujon. » Il eut envie aussi de mettre un mot à Madame des Sablons : mais il n’osa pas ; il songea seulement à la grâce de toute sa personne, d’un cœur ému, qui donnait à ses espoirs la précision de souvenirs, et il là déshabillait en pensée comme un homme qui l’aurait déjà maintes fois rhabillée.

Après quoi, dans cet état de bien-être où les forces paraissent doubles, il repartit avec sa girouette et son wagon, sur l’ordre du commissaire militaire qui déclara : « Je n’y comprends rien. Voyez Paris, à votre section. »

Dans le train, au milieu de poilus, il continua de parler. Il donna de son enterrement par explosion de marmite une seconde version plus imagée, où, sincère d’ailleurs, il s’inventait des sensations. Puis il passa par Amiens, monta dans un train nouveau où, parmi des civils, il raconta alors l’attaque « à laquelle il avait pris part », avec tant de chaleur qu’une femme dit :

— Vous êtes un de ces z’héros qu’on lit d’ssus les journaux.

Modeste, il répondit :

— Madame, on est emporté, et on fait ce qu’il faut.

Mais, à force de voyager et d’entraîner son patriotisme en des récits héroïques, il ressentit de la fatigue et l’amertume de son cas. En réalité,