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GRANDGOUJON

— Si, si, j’ai à te parler.

Et Moquerard s’enfonça dans la voiture ; puis, avec des yeux de singe furieux :

— Te décides-tu ?

Un bourgeois digne, à la vue de cet officier qui répétait un ordre à ce soldat, eut, pour Grandgoujon, un regard de colère qui décida son cœur indécis : il monta.

— Qu’avez-vous à me dire ?

— Oh ! le vous est sublime ! dit Moquerard. Qu’est-ce que Monsieur devient ? On ne voit plus Monsieur ! Fait-il du contre-espionnage ?… Vieux, tu as une foutue mine. Qu’est-ce qui se passe ? son foie sécrète ? Ta vessie s’engorge ? Va donc voir le docteur Flageolet, cousin de ma mère, dont la tête est taillée dans un fromage de Hollande et qui guérit ses malades par la seule répulsion qu’il inspire. Quand on l’a connu, on ne supporte plus la vue d’aucun médecin… et on ne meurt jamais !

Sa figure à cette idée exprima des délices infinies. Puis, se secouant :

— Il faut que je m’agrémente… Monsieur m’excuse ? Je vais à un rendez-vous galant…

Il tira de sa poche un carnet de papier-poudre, et détachant une feuille, il se frotta joues et nez.

— J’ai la peau grasse, dit-il d’une voix qui l’était aussi.

Avantageux, il se balança :

— Tu étais au front ?

— J’en arrive, prononça Grandgoujon d’une voix solennelle.