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GRANDGOUJON

Il rit, puis ajouta :

— Alors le front, c’est toujours crevant ?… Tu as vu ces bougres qui ont le trac, appellent « Maman », et disent que « c’est pas juste et qu’on d’vrait pas se battre au xxe siècle ? » Ils me dilataient la rate, ceux-là… Et ce sont des patriotes : qu’une marmite leur tombe sur le poil, ils éclatent tout comme un autre !

Il parlait en avançant la tête ; il avait l’air d’une gargouille. Avec son bagout, il expliqua pourquoi il allait aux Gobelins : il avait découvert dans un beuglant, au Concert des Zigomars, « une petite poule, bête comme un cochon, et jolie comme un amour ».

— Il faut l’entendre chanter des saletés, dit-il avec passion : on a les boyaux malades ! Car elle ne comprend rien, même pas les saletés. Et pour les dire, elle prend la tête de Jeanne d’Arc, entrant à Orléans. Alors, c’est imbécile et sanctifiant, tromboïdal et supérieur !…

À cette minute l’auto stoppa.

— M’y voilà ! M’y voici ! Il était temps ! J’expire !

Il sauta sur le trottoir et effraya un monsieur qui se promenait entre trois jeunes personnes.

Aussitôt, désignant le groupe, il cria :

— As-tu vu la tête du vieillard ?… J’ai fait de l’œil à ses filles et lui ai porté un coup mortel : il crèvera dans la semaine !

Puis, payant le chauffeur :

— Tenez ! Tenez !… Il rassemble ses demoiselles, et il marche tout contre… Il s’est retourné… Il chancelle. Il va mourir tout de suite.