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GRANDGOUJON

Grandgoujon fut troublé et touché. Et, à ce moment, il s’aperçut que Monsieur Punais avait, sur sa robe de chambre, une décoration noire, verte et rose. Sans savoir ce qu’elle représentait, il allait, avec son cœur, lui en faire compliment, mais de lui-même Monsieur Punais dit :

— Je vois votre regard. Excusez mon immodestie. Je porte ce ruban : en étais-je digne ?

— Oh ! cher Monsieur ! reprit Grandgoujon qui, de ce fait, n’était pas plus renseigné, toutes mes félicitations !

Madame Grandgoujon venait de se tourner vers Madame des Sablons :

— Connaissez-vous, Madame, ce cas du fils d’un Conseiller de la Cour, qui n’a plus ni bras ni jambes, et qui est aveugle ?

— Ces horreurs dépassent l’imagination, fit Monsieur Punais, marchant de long en large, les mains au dos.

Grandgoujon se sentait la cause première de ce respect, tout à coup religieux, pour le poilu-martyr. Et c’est avec une infinie douceur, en glissant des yeux amoureux à Madame des Sablons, qu’il se figurait reconquise, loin de ce sacré Moquerard, que posément il dit :

— Aussi, il ne faut plus qu’on nous bourre le crâne…

Puis, plein d’émotion :

— Monsieur Punais, j’irai avec plaisir à votre grosse machine !

Madame le regarda tendrement. Elle avait vraiment, cette femme, une grâce émouvante ; à la