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GRANDGOUJON

était sur lui, parlait, l’accablait, l’exécutait. Et entre certains mots il respirait, mais jamais entre deux phrases, si bien qu’il était impossible de l’interrompre ni de l’arrêter. Les bras croisés, il était solide et virulent :

— Alors, cria-t-il, ils ne vous ont pas changé en macchabée ! Je viens de rencontrer ma femme : rocambolesque votre histoire ! Et vous avez toujours votre air de ne vous douter de rien ! Ma parole, il serait prêt à recommencer ? Ah ! non, mon vieux, pas avec moi !… On m’a dit que vous rapportiez la girouette : vous avez fait quinze kilomètres sous le feu pour la peau ! L’assassinat, quoi ! Définition de la guerre !… Car moi aussi, maintenant, je la vois de près la guerre !

Il élevait le ton. Ses lèvres, comme sur le portrait, exprimaient l’écœurement. Enfin, il saisit Grandgoujon par un bouton :

— J’ai laissé mes fonctions provisoires et assez répugnantes d’avocat général, et j’ai repris le vrai métier, mon vieux, notre métier, qui est de défendre les pauvres bougres contre la Société et la Justice ; et pour cette corvée-là il n’y a encore que les avocats ! Car écrivains, journalistes, politiques, zéro ! Tous immondes pendant cette guerre ! La gloire ! La victoire ! Le lyrisme ! Tam-tam ! Très joli ! Moi aussi je la veux la victoire, mais attention : ne nous payons pas de mots et méfions-nous du chauvinisme. Nous avons déjà eu les demi-soldes !

Son débit devenait saccadé. Chaque phrase coupait dans le vif.