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GRANDGOUJON

Stupeur pour la famille. On se tourna : il avait disparu. Entre des tombes, il s’était faufilé, et avec Quinze-Grammes qui, fidèle, était venu, ils descendirent à petits pas vers Paris. Grandgoujon songeait à la mort, à celle de sa mère, aux millions de jeunes hommes tombés dans cette tuerie, et continuant de mêler ces tristesses, comme si elles avaient la même cause, il soupira en tournant une rue :

— Enfin, pourquoi n’essaye-t-on pas de causer… et de s’entendre ?

Ils étaient près de la Bastille. Quinze-Grammes dit :

— Tu veux comprendre l’incompréhensible ?… Fait chaud : on va passer chez mon paternel. Tu connais pas sa boutique ? J’t’ai dit qu’il est dans les fruits : d’ce temps-ci, c’est chouette : ça fait du jus !

Le père de Quinze-Grammes était un gros homme à verrues et lunettes, singulier par le poil roux de ses bras piqués de taches de son. Il tripotait des pèches et des prunes dans une échoppe obscure, où frelonnaient de grosses mouches. Il fut cordial :

— Ah ! Monsieur est un ami de caserne ? Pis un ami à M’sieur Moquerard ?… Dame, j’l’aime bien, M’sieur Moquerard… Mangez donc une bonne pêche, Monsieur, vous gênez pas… Ma fille travaille pour M’sieur Moquerard, et avec elle l’est pas regardant : il l’emmène au cinéma. C’est un garçon, qui, comme ça, n’a pas l’air, mais l’a du cœur c’garçon-là ; il s’est bien battu, l’a tué du