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GRANDGOUJON

l’intelligence hors ligne de mon mari : eh bien, je voudrais le faire décorer ! Or, Creveau connaît le ministre, et depuis cinq jours il me dit : « Revenez demain ; je lui aurai parlé »). Aujourd’hui, je suis donc revenue et je n’avais pas ouvert la bouche, que ce Monsieur s’est planté devant moi : « Madame, il aura sa ficelle rouge, entendu ! Vous comprenez le français ? Vous savez le sens du mot entendu ? Eh bien, demain, je vous redirai encore : « Entendu », à moins que vous ne vouliez aussi pour vous les palmes académiques ou la médaille de la peste !

— L’insolent ! dit Grandgoujon.

— Mais au cas où vous seriez pourvue, croyez-moi, Madame, ne revenez pas… si vous savez également le sens du mot « revenir ». Je ne suis pas un mondain, moi, et parlons carrément, portes fermées : je n’ai pas le loisir de vous faire la cour. Cas anormal ? C’est vrai. N’importe qui, à ma place, vous jugerait appétissante. Mais j’ai d’autres affaires !

— Ah ! l’insolent ! redit Grandgoujon.

— Suffoquée par cette crudité de termes, j’ai eu envie de le souffleter. Puis, j’ai reculé vers la porte. Il me l’a barrée : « Je sais, a-t-il continué, que vous êtes gentille, et je ne suis pas gentil. Tant pis ! Vous venez trop tard ! Il y a dix ans, sans me flatter, je vous aurais violée là, dans mon salon. Mais le viol n’est piquant que s’il reste le viol. Il faut ne se revoir jamais. Avec une femme du monde, impossible. Elle revient sangloter : « Ne m’abandonne pas : je suis si honnête ! » ce