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GRANDGOUJON

C’est lui qui était gêné.

— Plus un seul ! déclara Moquerard.

Et il se renversa sur sa chaise.

— Voilà : j’ai dû être rétrogradé trois fois ! Au début de la guerre, si j’ai bonne mémoire, j’étais lieutenant-colonel.

Il fit un dos rond et branla la tête. Les femmes éclatèrent. Puis il se tourna vers Mademoiselle Dieulafet :

— Ma chère, au bout d’un mois de campagne, comme j’avais signifié à trois généraux qu’ils étaient incurablement stupides, on me nomma… capitaine.

Il laissa glisser son regard sur la seconde des demoiselles :

— Quelques semaines passèrent… lorsqu’une nuit, rêvant tout haut, je déclarai, paraît-il, qu’on n’aurait la victoire que si on la demandait au Sacré-Cœur de Jésus ! À ce moment précis, le haut commandement passait : on me réveilla en hâte… et on me nomma sergent… Hélas ! je ne devais l’être que trois heures.

Il se tourna vers Grandgoujon :

— Car, brusquement, nous recevons l’ordre d’attaquer. J’aperçois des Boches dans mon dos. Je fonce sur eux. Ô mauvais sort ! Ce n’était que des prisonniers rassemblés à l’arrière, et je m’étais trompé de côté !… On m’a nommé soldat…

Il s’inclina :

— Je le suis toujours, mais comme en même temps je suis sentimental, je porte des cache-galons en souvenir de ce qu’il pourrait y avoir