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GRANDGOUJON

-même. Il se mit à la fenêtre d’une pièce voisine ; il leva le nez vers le ciel qui fourmillait d’étoiles et de blanches traînées, et il se dit :

— Quelles puces nous sommes ! On me traite d’embusqué parce que je parais gros… Vu de là-haut, qu’est-ce que je suis ?

Il alluma sa pipe, puis songeur :

— Le terrible, c’est que j’avais une nature à ne pas me fâcher avec l’humanité… Il a fallu cette ordure de guerre…

Il tira deux bouffées qui étaient rondes comme lui :

— D’ailleurs, suis-je fâché ?

Du dehors arrivait un bon air parfumé par les arbres.

— Puisque je prends ce gosse… On dira : « Vous ne vous esquintez pas le tempérament aux armées, c’est bien le moins !… » Mais d’autres auraient répondu : « Je ne suis pas forcé. »

Il s’assit :

— Je ne serais pas mauvais, moi, si on me traitait proprement. Elle le sent bien, la dame enjôleuse du dessus : elle me donne des poignées de main, qui suffisent presque à cocufier son mari. Mais son mari a confiance… Quoique phraseur, c’est un brave homme… Et Colomb est un utopiste, mais c’est un cœur… Quant à l’autre iroquois, le lieutenant-soldat, il pose pour la galerie, mais on ne sait pas ce qu’il est… Si je regagnais quelques kilos, je redeviendrais indulgent.

Il vida sa pipe sur le balcon, par petits coups qu’il accompagna de phrases martelées :