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GRANDGOUJON

noms, ceux qui se battent selon leur conscience, avec une étiquette d’emprunt ; mais ils ne peuvent changer ni leurs yeux ni leurs fronts, où se lisent d’héroïques misères. Comme ils étaient nombreux !… Ce fut une stupeur pour le peuple… Devant le mystère il se tint respectueux et muet ; et il salua, sans crier ni battre des mains.

Les chasseurs suivaient.

Troupe unique, nerveuse, crâne, dont le pas martelé dit à l’oreille : « Nous sommes sans peur et sans reproche ! » D’alignement impeccable, ils avançaient serrant ce qui fut leur drapeau, dont la vue, brusquement, fit frémir les âmes. Car ce n’était qu’une hampe où pendait une terrible loque, mais dans ce lambeau d’étoffe informe survivaient les trois couleurs, avec une frange d’or déchiquetée. Le courage, la violence et l’horreur que représentait ce bout de soie trouée par le fer, brûlée par le feu, déchirée par des mains haineuses, — cent combats meurtriers, l’enfer de la bataille, le corps-à-corps hideux, la foule les vit, et elle exhala son émotion d’une voix haletante, coupée et suspendue au battement des cœurs secoués fougueusement.

Comme si le cri du peuple avait crevé les nuées, un rayon du soleil déjà haut vint éclairer cette gloire. Et les chasseurs passèrent.

Après eux, ce furent les fantassins du 152e, couverts de fleurs par les femmes des faubourgs ; tous, jusqu’aux plus humbles, avaient une Légion d’honneur en roses rouges sur le cœur. Ils escortaient aussi un étendard dépecé qu’ils parfu-