Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
GRANDGOUJON

— Embrasse-moi, quoi ?… Tu as peur du papa Grandgoujon ?

De près, il les trouvait tous jeunes :

— Des galopins ! faisait-il.

Mais il expliquait aux femmes avec attendrissement :

— Il n’y a que des hommes jeunes qui puissent continuer cette guerre-là.

Soudain, il recourut chercher d’autres bouteilles. Le temps qu’il revînt, il y avait eu faux départ. Les soldats avaient avancé. Il en retrouva d’autres. Qu’importe ! Il recommença, avec une aussi chaude exubérance :

— Je suis le père Grandgoujon, un vieux de la vieille… J’ai été enterré par une marmite, en portant une girouette à un de vos colos… Ah ! la rosse !

Il riait, se tamponnait le visage. Et il était aimé tout de suite ; les soldats lui tâtaient le râble et les bras :

— Ben, mon poteau, t’as rien comme lard !… Les jours qu’on a pus d’singe…

Pour eux, il vida ses poches :

— Voulez-vous mon briquet ?… Quoi, tu n’as pas de couteau ?… Attends, j’ai une pipe neuve…

Rouge, soufflant, il leur disait :

— C’est si beau de faire ce que vous faites, de défendre un pays comme le nôtre !

Il n’avait plus de scepticisme, plus de rancœur, rien que de l’amour et de l’exaltation, toute sa grosse bonne nature.