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GRANDGOUJON

boutonnait son veston comme s’il sanglait sa colère), et je vais lui passer quelque chose !

— Poulot ! Nous ne pouvons nous passer de la concierge. Puis, tu es malade, reprit sa mère, croyant tenir l’argument sauveur. Après l’alerte que tu racontes…

— J’ai besoin de me dépenser !

Et pour la seconde fois, il tenait le bouton de la porte, emporté par deux vengeances à assouvir, une à l’entresol, l’autre, au rez-de-chaussée ; lorsque tout à coup, au-dessus, un piano se mit avec allégresse à commencer la Marche Turque. Alors, sa double colère se concentra toute contre ce troisième ennemi, et il bredouilla :

— Il ne manquait que ça ! Madame (il tapait le bras du fauteuil de Madame Creveau), tous les jours, soir, matin, à chaque repas, même la nuit, la Marche Turque !

— Oh !… Et qui est-ce qui joue ? balbutia Madame Creveau.

— Une femelle, cria Grandgoujon, que je finirai par étrangler !

— Je t’en supplie, dit sa mère, baisse la voix !

— Baisser…

— Si Mariette entend, nous aurons toute la maison à dos !

— C’est la guerre ! J’en ai assez de ménager les gens !

— Madame Creveau, dites-lui…

— Je ne veux plus, moi, entendre la Marche Turque !