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GRANDGOUJON

portance. Mais la qualité, fichtre ! Aimes-tu l’omelette au fromage ?

— J’aime tout, fit l’autre. À une époque où, tant de gens n’ont pas un morceau de pain…

— Oh ! ne t’en fais pas là-dessus ! dit Grandgoujon. Ce que nous mangerons, si nous ne le mangions pas, ne serait pas distribué aux pauvres ni envoyé aux Russes : ce n’est pas des habitudes de restaurateur… Et puis cette guerre est affreuse, mon vieux, il faut se nourrir, et bien ; sinon on se déprime et on fiche son camp. Aimes-tu les côtelettes de veau ?

— Mon cher Grandgoujon…

— Pannées, rissolées ?

— J’ai vos goûts.

— Tu peux dire : tes goûts, sans que ça coûte un liard de plus.

— Qu’ils sont drôles ! dit Madame Grandgoujon.

— Aimes-tu les huîtres ? continua son fils… Aimes-tu le vin d’Anjou, qui mousse et vous revient dans le nez ? Aimes-tu le Bourgogne qui ne revient pas, mais… reste ? Aimes-tu les ploums ? Ah ! les ploums ! Enfin, recueille-toi, vieux, comme si tu allais communier.

— Poulot ! fit sa mère, laisse les choses saintes.

— Quand je les laisse, dit-il, tu te plains que je les laisse trop.

Madame Grandgoujon eut un rire heureux dans une figure fâchée, et tournée vers Colomb elle dit avec son cœur de mère :

— Quel boute-en-train !