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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/117

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

un génie qu’il est difficile de retrouver ensuite devant le papier blanc, la plume à la main. Il était plein de feu, il s’en mangeait les ongles, et dans cette auto puissante qui l’emportait si facilement, il avait vraiment l’impression d’être quelqu’un, et il se disait, alliant le sens utilitaire à la pensée élevée : « Il faudra, dès mon retour, que je demande à être augmenté. »

Cette petite crise d’orgueil ne le prépara pas à comprendre l’hôpital des chevaux ; il n’y avait pas fait trois pas qu’il se mit à sourire.

James Pipe n’en fut pas désarmé. Il avait l’habitude. Il dit :

— Ici, toujours les Français ils sourient, car les Français ils ont le respect des avocats. Alors, les bêtes ils parlent pas assez ; les Français ne croient pas aux bêtes.

Tandis que l’Anglais, qui comprend le silence, se dit que la misère des chevaux est souvent humaine, et il les console par les mêmes moyens qui apaisent les hommes. Tout autour du box de la bête malade, il dessine, comme pour des soldats affligés, une bordure de fleurs, qu’il arrose et renouvelle. Et ainsi, le cheval le plus roturier et qu’on a fait servir aux besognes les plus cruelles, se trouve soudain soigné comme une