Aller au contenu

Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

Ainsi c’était vrai. Sacré vétérinaire ! On pouvait encore faire un tour en ville.

Barbet connaissait Boulogne ; il ne le reconnu pas.

Dès qu’une vieille cité de France devient une base anglaise, elle est méconnaissable. C’était un fouillis de vieilles rues et de vieilles manies ; car les siècles, en se suivant, accumulent les souvenirs charmants mais encombrants. Toutes nos villes d’autrefois sont pareilles à ces demeures familiales aux débarras bondés, où tout est inutile et passé de mode, mais où le cœur, empêtré dans ses chères habitudes, vit étriqué, gêné, sans force pour déblayer et se donner de l’air.

La guerre éclate ; l’Anglais débarque. Les quais du port sont encombrés de vieilles caisses et de vieilles cordes ; la gare est sale ; les rues se tortillent, avec toutes leurs maisons qui sont autant de lubies, pavées de pierres infernales où le pied se coince à chaque pas. Une base anglaise ici ?… Parfaitement. L’Anglais allume sa pipe de tabac blond ; il trousse ses manches sur ses bras roses il range le port ; lave la gare ; et dans le dédale des ruelles il fait rouler ses camions jusqu’à ce que, sous les roues, tous les pavés aient sauté Un coup de sirène venant du large : ce sont les