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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/195

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

bien plus que de combats et de beaux sacrifices, que son âme retrouvait, fantaisiste avant tout.

Sa fantaisie, elle s’affirma dans la façon dont il se vêtit à son passage à Londres, avant de partir pour Harwich. Il laissa son complet de voyage, en laine trop épaisse et trop raide. Il mit un pantalon d’un tissu plus léger, où le pli se marquait bien, un chapeau de roman, mou et de couleur blonde, un paletot en ratine douce, gros bleu, ceinturé à la taille, et enfin des guêtres en toile beige qui lui égayaient les pieds. Il était délicieux, amusant et charmant, parce qu’on devinait, à le voir, le plaisir qu’il avait pris à s’habiller, — un peu fantasque, un peu falot, léger, échappé d’une féerie moderne, et comme pour compléter cette allure impayable d’Anglais qui suit sa seule idée sans souci de l’opinion, il s’était mis sur une légère entaille faite par son rasoir à la joue, un petit bout d’étoupe, qui s’agitait à l’air sitôt qu’il marchait vite.

Barbet, rien qu’à le voir, se sentit d’une humeur joyeuse ; la veille, il était agacé ; ce jour-là il revenait à des sentiments charitables. Il pensa :

— C’est une caricature, mais quel type !

Puis, prévoyant que l’autre ne pourrait pas répondre, il lui demanda tout de même :