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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/206

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

pénible, il restait commode, confortable, un vieux navire antique sur lequel on était peut-être mort quelquefois, mais sur lequel, aussi, maints grands-pères ou grands-oncles de M. John Pipe avaient dû fort bien vivre.

Quand il mit le pied sur le pont, comme il le trouva vaste, net et beau ! C’était un pont pour passer des revues, un pont sans canons, pont de navire marchand où l’on évoquait des promenades de long en large durant des traversées sous des ciels merveilleux. — Ah ! ce plancher serré, si bien fait, il en eut des tressaillements de plaisir, M. John Pipe. Des mousses, vêtus de toile écrue, lavaient à grands seaux d’eau, pieds nus sur la planche mouillée ; une corde grinçait dans la poulie du mât ; le soleil faisait briller les cuivres des bastingages. Ma foi, il oubliait qu’il fût en 1917 ! Il n’y avait plus de Boches pour lui, ni de Guillaume II, ni de sous-marins, ni aucune de ces néfastes machines qui réduisent l’homme à l’état de brute et ne laissent à la vie aucun prétexte pour être aimée, même supportée. L’imagination de M. John Pipe, aidée par la réalité, le transportait au dernier siècle. Il ne craignait plus l’huile pour son pardessus et il était heureux d’avoir encore une guêtre claire.