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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/61

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

Ce dernier mot choqua Barbet, qui eut un tressaillement ; mais l’autre reprit :

— Vous me trouvez indigne ? Vous êtes anglophile ? Bien. Le seriez-vous encore, mon cher monsieur, s’il vous était arrivé même chose qu’à moi ? Écoutez… Ils m’ont emmené, il y a trois mois, en pleine bataille. Nous avons été surpris par ces cochonneries de gaz asphyxiants. J’ai tourné de l’œil en cinq sec : on n’a eu que le temps de m’emporter, au galop. Quand je suis revenu à moi, j’ai pleuré, toussé, craché, vomi pendant sept heures, oui, monsieur, sept heures ! J’ai pensé rendre toutes mes tripes. Jamais je n’ai souffert pareillement. En sept heures… vous me voyez : je suis gros… en sept heures j’ai été réduit a rien ; en sept heures je n’ai pas retrouvé l’usage de ma langue pour bafouiller un seul petit mot. Eh bien, au bout de sept heures, monsieur, l’officier qui m’avait conduit, l’officier qui avait résisté, lui, à ces cochonneries de gaz, cette espèce de grand cadavre flegmatique, qui durant sept heures était resté au port d’armes au pied de mon lit, rendant les honneurs à mes vomissures (c’est ce qu’ils appellent vous recevoir en gentleman), au bout de sept heures, monsieur, quand j’ai retrouvé l’usage de mes sens,