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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/76

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

d’homme, ne considérant, lui, dans son cerveau d’homme de trente ans, robuste et sans mélancolie, que l’avance sur le terrain et le recul boche.

Remontant en voiture, Barbet pensa :

— Il ne peut pas s’attendrir comme nous, parbleu… C’est à nous ce pays !

Et il se dit encore :

— Quand j’aurai vu la vallée de l’Ancre, j’écrirai là-dessus un joli article mélancolique… pour les femmes, qui ne se doutent pas de ce que c’est.

Il n’y a d’ailleurs nul besoin d’être femme, ni même Barbet, pour revenir terrifié de la vallée de l’Ancre. Elle est tout entière terrible.

Ce n’est plus une vallée terrestre. On y songe à quelque planète chauve, brûlée, et errant dans l’espace après une catastrophe. On est stupéfait d’y respirer encore.

Les Français qui, la paix signée, rentreront sur ces terres, n’y retrouveront ni un village, ni même un pays, et leur confusion sera plus grande encore que leur douleur. Tout ce qui faisait leur bien et leur vie, tout ce qu’ils aimaient aura disparu si totalement, que leur détresse ne sera plus nourrie que par des souvenirs.