Page:Benjamin - Le Pacha, paru dans Les Annales politiques et littéraires, 3 et 10 août 1924.djvu/28

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Mme Hamelin, à Suzanne. — Je te dis qu’il va me faire pleurer !

Suzanne, lui tendant son verre. — Prends ça, bois, et de grâce, tais-toi !

Il prend le verre et tourne une petite cuiller dedans. Puis, il se décide à boire, La bonne apporte le jambon et les légumes.

Mme Hamelin. — Tu devrais déjà avoir fini ta soupe !

Pierre, croisant les bras. — Non !… mais sans rire…, c’est une comédie !… Je n’ai plus deux ans ! (Il s’assied avec calme.) Je saurai prendre le train, comme vous, et dîner avant…, mieux que vous. (Il déplie lentement sa serviette.) J’en ai pour un quart d’heure, moi, à dîner…

Mme Hamelin, mâchant fiévreusement. — Mais, nous n’avons pas un quart d’heure à te donner ! Il nous faut les assiettes dans cinq minutes !

Pierre. — Dans cinq minutes ? Alors, c’est pire qu’au buffet !

Mme Hamelin, impérative. — Avale ta soupe !

Pierre. — C’est effrayant ! (Il remue sa cuiller dans son potage.) On croirait qu’on part… pour le tour du monde !… au moins ! Et encore, ça ne serait pas une raison pour partir à jeun…, au contraire… C’est une sottise de commencer un voyage l’estomac vide, ou mal rempli… Dieu que c’est chaud !… Je serai bien mieux que vous, moi, cette nuit. Je digérerai. Vous, vous avez déjà une congestion… Oh ! c’est brûlant, cette ordure-là… Marie !

Mme Hamelin. — Veux-tu laisser la bonne !

Pierre. — Je ne peux pas ingurgiter ça ! (À la bonne qui entre.) Marie, une autre assiette.

Mme Hamelin. — Ah ! mais non !

Pierre. — Je la laverai.