Page:Benjamin - Le Pacha, paru dans Les Annales politiques et littéraires, 3 et 10 août 1924.djvu/30

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Mme Hamelin, appelant. — Marie ! (La bonne accourt.) Le dessert, Marie.

Pierre, avalant sa soupe à grandes cuillerées. — Et moi, le jambon, Marie ! le jambon express, le jambon fantôme ! que j’en fourre dans mes poches pour la nuit !

Il sort du papier de ses poches.

Suzanne. — Qu’est-ce qu’il va faire de bête ?

Pierre. — Puisque je n’ai pas le temps de manger au buffet maternel, je me prépare un panier-repas.

Suzanne. — Voyons…

Mme Hamelin. — Laisse-le donc ! Il est fou !

Mme Hamelin se lance nerveusement des grains de raisin dans la bouche.

Suzanne. — Moi, il me ferait pleurer d’énervement aussi !

Mme Hamelin. — Ah ! ne me dis pas ça ! Je ne sais pas ce qui me retient !

Pierre, sarcastique. — Qu’est-ce que ça sera quand vous me perdrez ?

Suzanne, horripilée, lui tendant un compotier. — Tu ne prends pas du raisin avec ton jambon ? Piques-en donc des grains dedans.

Pierre, calme. — Tiens, c’est une idée ?…

Il prend du raisin.

Mme Hamelin. — Ce qu’il me fait mal aux nerfs ! Oh !

Elle se met à pleurer.

Suzanne. — Maman ! Voyons, maman !

Mme Hamelin, se levant. — J’aime mieux m’en aller ! Je ne veux plus le voir !

Suzanne. — Maman !… Maman !…

Elle suit sa mère, en commençant de pleurer aussi.

Pierre, seul. — Ça y est !… Ça devait éclater. Orages féminins. Du bruit, beaucoup d’eau, et les hommes très embêtés… (Un temps.) Enfin…, ça va toujours me permettre de manger quelques fruits sereinement.