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LES PLAISIRS DU HASARD

La Femme du Docteur. — Son train arrive à cinq heures dix… Qu’est-ce que je dis : trois heures dix… Seize heures dix, c’est bien… ? Ah ! non, je me trompe encore : c’est quatre heures dix.

Le Docteur. — On ne peut pas dire que tu aies le sens de la réplique nette.

La Femme du Docteur. — Je ne suis évidemment pas une femme de théâtre !

Le Docteur. — Et je ne te le reproche pas, ma pauvre amie. Tu étais déjà ce que tu es, quand je t’ai épousée, et je t’ai épousée pour ce que tu étais.

La Femme du Docteur. — Recommencerais-tu ?

Le Docteur. — Tout de suite. Nous sommes deux créatures prosaïques, faites l’une pour l’autre. Et si j’avais un frère de vingt ans qui me ressemble bien, je lui donnerais ta fille, qui est ton portrait… Car il faudra la marier, malgré les ricanements de Monsieur son frère…

Le Fils. — Moi, je… ?

Le Docteur. — Monsieur son frère nous jette comme un défi : « Fiancez-la donc à Emmanuel !… »

(On sonne.)

La Femme du Docteur. — C’est lui !

Le Docteur. — À la bonne heure : je le verrai… Il ne se doute pas, ce frère, que si je ne songeais qu’à moi, je n’hésiterais pas à suivre ce beau conseil.

Le Domestique. — Monsieur, un Monsieur.

Le Docteur. — Ce n’est pas lui : je ne le verrai pas !