Page:Benjamin - Les plaisirs du hasard, 1922.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ACTE PREMIER
9

Antoinette. — Dame, quand on travaille !…

Emmanuel. — Vous travaillez pour moi : c’est une compensation. Je ne vous ai pas encore dit un mot sévère, Antoinette. Or, songez à ce qu’il a fallu de hasards, depuis six mille ans, pour que vous et moi nous trouvions face à face…

Antoinette. — Oui… Oh ! Monsieur peut parler jusqu’à ce soir ! Il ne m’étourdira pas. Je sais ce que coûte la vie.

Emmanuel. — Qu’est-ce qu’elle coûte ?

Antoinette. — Avec mes gages, je n’y arrive plus !

Emmanuel. — À quoi ?

Antoinette. — Et je le dis carrément à Monsieur : je quitte Monsieur… si Monsieur ne m’augmente pas.

Emmanuel. — Mais je vous ai augmentée !… Par exemple ! Ne vous ai-je pas avertie ?… Antoinette, je m’excuse… Je vous ai augmentée hier, à quatre heures, en traversant la place de la Concorde. À ce moment précis j’ai pensé à vous. Ne sachant ce que vous désiriez…

Antoinette. — Trente francs de plus.

Emmanuel. — Je vous ai gratifiée de quarante : si c’est trente…

Antoinette. — Oh ! je dis trente…

Emmanuel. — Pour en avoir vingt ? Vous les aurez. Et je ne vous demande même pas, là-dessus, de payer mes repas.

Antoinette. — Je pense ! Ce matin la volaille est encore augmentée.

Emmanuel. — Comme vous ? Tant mieux ! Il faut cela pour qu’elle rebaisse. L’avenir est beau.