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TRAGEDIE.

Un peſant faix m’abat quand je me veux lever,
Je le ſens qui m’eſtouffe, & ne le puis trouver.
Le nuict a beau finir, touſjours mon dueïl perſiſte :
Avecque mes amis malgré moy je ſuis triſte,
Je pers de jour en jour l’uſage des plaiſirs,
Et ne reſpire plus qu’avecque des ſoupirs.

Briseide.

« C’eſt ainſi que le Ciel advertit ceux qu’il ayme,
Et qu’il voit s’engager dans un peril extreſme. »
Croyez pour l’eſvuiter ce que vous avez veu,
« Le plus certain preſage eſt menteur eſtant creu. »
Achille, autant d’objects qui troublent voſtre joye,
Sont autant de conſeils que le Ciel vous envoye.
Evitez les dangers où l’on vous voit courir,
« Un grand cœur comme vous peut tuër, & mourir. »
Un malheur peut ternir l’eſclat qui vous renomme,
Achille eſt redoutable, il eſt vaillant, mais homme.

Achille.

« Noſtre vie eſt un bien difficile à garder,
Afin de la deffendre on la doit hazarder. »
Je m’en croirois indigne au deſtin qui nous preſſe
Si je ne l’expoſois pour le bien de la Grece.
La mort dans le peril ne m’eſpouvante pas,
Je la crains dans la paix, & la cherche aux combas.