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Page:Bentzon - Yette, histoire d'une jeune créole, 1880.djvu/172

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HISTOIRE D’UNE JEUNE CRÉOLE.

un dégoût insurmontable. Elle toucha du bout des dents une carotte, puis elle y renonça. La directrice s’en aperçut.

« Mademoiselle de Lorme, dit-elle sans quitter sa place, aucune règle ne vous oblige à prendre du plat que vous n’aimez pas, mais, une fois servie, on doit manger sans rien laisser sur son assiette.

— N’ayez pas peur, dit à voix basse Héloïse Pichu, assise à côté de Yette, je suis là ; passez-moi tout ce que vous voudrez. »

Et le bœuf à la mode disparut aussitôt, grâce à l’obligeante gloutonnerie d’Héloïse, qui rendit à Yette les plus fidèles services jusqu’au jour où, grâce à un régime régulier et à un climat vivifiant, elle eut faim pour son propre compte.

Le dîner terminé, car ce repas de midi s’appelait un dîner, l’essaim des pensionnaires s’envola dans le jardin, enclos assez vaste, dont toutes les allées aboutissaient à une sorte de butte que couronnait un belvédère et qu’on appelait le labyrinthe. Ce labyrinthe était entouré d’une barrière toujours fermée. Mlle Aubry s’en réservait l’accès, et on la soupçonnait d’être présente même aux récréations, de surveiller les ébats des pensionnaires du haut de sa tour. Cette pensée inspirait