Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curieux se rattache à la prédilection des guerriers pour des casques pourvus d’images de sangliers. Beowulf et ses compagnons s’en recouvrent (Beowulf, v. 303-305, 1111-1112 et 1448-1454), et le premier texte dit expressément : « Le verrat faisait garde », indiquant par là que l’homme ainsi équipé se place sous la protection de Freyr, divinité adorée jadis par les tribus voisines de la Baltique et de la mer du Nord. C’est aussi ce qu’implique l’étendard à la hure de sanglier dont Hrothgar récompense le vainqueur des monstres (Beowulf, v. 2152). Enfin, c’est une déesse bien connue que rappelle le fameux collier des Brisings dérobé par Hama (ou Heime, dans la tradition allemande) et qui avait appartenu à Freya (id., v. 1197-1201). Le titre de bealdor ou prince, attribué aux chefs des Géates et à eux seuls (id., v. 2428, 2567), provient sûrement du culte de Balder, pratiqué dans la Suède méridionale, comme le surnom patronymique d’Ingwine (amis d’Ing), donné aux Danois, de celui d’un ancêtre divin dont le souvenir s’était effacé avec le temps. D’après le critique Sarrazin, quand il est question, à propos du meurtre involontaire d’Herebeald commis par son frère Haethcyn, du supplice de la pendaison (id., v. 2444-2448), il faudrait voir dans ces vers une allusion voilée aux rites du dieu Odin, que l’on honorait à Upsala en lui offrant des victimes suspendues vivantes aux arbres de son bois sacré. Enfin le poète reconnaît formellement l’existence de sanctuaires d’idoles que consultent en vain les conseillers de Hrothgar, mais il n’en parle que pour les condamner (id., v. 175-182).

Cette réticence s’explique de la part d’un reviseur chrétien et peut-être rattaché à quelque monastère anglo-saxon. Elle ne semble pas prévaloir au même point chez lui lorsqu’il s’agit seulement de mythes plus ou moins vagues dont la signification religieuse s’était perdue. Tel est le cas dès le début du Beowulf, où l’histoire du fondateur de la dynastie danoise, Scyld, fils de Scef (l’enfant du bouclier et l’enfant de la gerbe), n’est sans doute qu’une déformation de quelque légende primitive se rapportant aux origines lointaines de l’agriculture. Du même cycle de croyances naïves relèvent la foi aux armes ensorcelées, telles que l’épée dont le héros géate s’empare dans la caverne sous-marine, et à la magie qui protège contre les atteintes du fer les êtres surnaturels du poème, Grendel et sa mère (id., v. 804-5 et 1523), ou bien encore la superstition du mauvais œil (l’invidia des Latins et la jettatura des Italiens) qui tarit en un instant les forces de la vie (id., v. 1760). Enfin la vieille épopée conserve des ressouvenirs confus du Panthéon germanique dans la mention du forgeron divin, Weland (id., v. 452-455), qui a tissé la cotte de mailles du vainqueur des monstres, et dans celle de Wyrd, que le barde confond le plus souvent, de propos délibéré, avec la Providence (id., v. 1055-1058), alors qu’en réalité c’est une personnification du destin auquel l’homme ne saurait résister. Et sans qu’il soit possible de préciser les détails absolument étrangers au christianisme, notons combien