Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/31

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Grendel, la lutte avec la mère du monstre, le retour au pays des Géates et la victoire sur le dragon. Encore faut-il remarquer que le duel avec Grendel se soude tout naturellement au duel entre Beowulf et le monstre femelle, et que le retour du vainqueur dans sa patrie se rattache avec beaucoup de vraisemblance au premier des deux morceaux qui l’encadrent. Il resterait en définitive une dichotomie réelle marquée au vers 2200, mais sans qu’il puisse en aucun cas être question d’une simple juxtaposition. La charpente épique de l’œuvre anglo-saxonne constitue une masse uniforme et solide où les épisodes sont strictement subordonnés à un même plan et où le caractère ferme et net des personnages essentiels trahit, tout autant que la facture homogène, le dessein bien conçu et proprement littéraire qu’il serait difficile de ne pas attribuer à un seul auteur.

Une pareille constatation devait conduire à l’hypothèse d’un diascévaste ou d’un reviseur responsable du poème sous la forme où il nous a été transmis. Cette hypothèse peut du reste s’accorder avec les précédentes en ce sens que chacune d’elles contiendrait une part de vérité. L’on conçoit en effet sans peine qu’un ménestrel entreprenant, qui serait allé en Danemark ou qui aurait recueilli d’une bouche danoise les légendes au sujet de Beowulf, ait songé à s’en inspirer pour charmer des auditoires angliens ou merciens ayant conservé des relations avec les pays d’outre-mer et disposés par une certaine communauté d’origine à se complaire aux cantilènes populaires germaniques du continent voisin. Intéressé, semble-t-il, d’une façon spéciale par l’élément merveilleux qu'il retrouvait dans les traditions ancestrales, il se serait engoué des combats du chef géate contre des adversaires surnaturels, et c’est ainsi qu’il aurait cherché à fondre en une même narration les aventures du héros aux prises avec deux monstres, mâle et femelle et plus tard avec un dragon. Toutefois, subissant malgré lui l’influence d’un milieu plus civilisé et déjà moins crédule, il aurait été amené à atténuer les invraisemblances des anciens mythes. Pour lui, Grendel et sa mère, bien que garantis contre l’atteinte des épées par des arts magiques, ne sont que des mortels d’une taille extraordinaire, mais vulnérables et destinés à succomber. Quant au dragon, malgré les flammes dont il s'entoure, il suffit d’un bouclier en fer pour l’affronter avec succès et, pour le tuer, d’un coup adroitement porté au ventre, où les écailles ne le protègent pas contre l’assaut meurtrier (Beowulf, v. 2699-2700). Ajoutons que les portraits, si minutieusement tracés, de Hrothgar, d’Hygelac et de son neveu impliquent une habileté considérable dans l’art de concevoir des caractères et supposent un poète expert comme dernier auteur de l’épopée.

Aussi comprend-on que certains érudits aient voulu découvrir le nom du barde anglais qui nous a laissé ce beau récit épique. Après avoir attribué l’œuvre originale au skalde danois Starkad,