Page:Beowulf et les premiers fragments épiques anglo-saxons, trad. Thomas, 1919.djvu/42

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traits généraux, apparents partout ou règne l’inspiration héroïque, il y a lieu de noter une action plus directe et plus forte. Si parmi les chants de l’école caedmonienne, la Genèse ne la montre guère, l’Exode, par contre, est pénétré d’un esprit belliqueux et rappelle à maintes reprises l’ancienne chanson de geste. Entre les compositions dues ou attribuées à Cynewulf, l’Andréas a certainement subi l’influence de son grand prédécesseur en ce qui touche à l’amour de la mer, à l’ardeur martiale et au goût des aventures, et le Guthlac, comme l’Elene, s’en ressent aussi. L’on peut en dire autant plus tard du magnifique fragment de Judith, qui fait suite au Beowulf dans le manuscrit Vitellius Axv du Musée Britannique. Et quand s’achève le 10e siècle de l’ère chrétienne, le beau récit de la Bataille de Maldon[1] qui clôt le cycle parcouru par le genre littéraire dont on a vu l’évolution sommaire, reproduit avec une fidélité étrange certains aspects de la vieille épopée. L’une et l’autre en effet racontent le trépas glorieux d’un chef aimé entre tous, sur le lieu du suprême combat, succombant, là, sans espoir de triompher du destin, écrasé sous le nombre, ici, vainqueur de l’ennemi, mais mortellement blessé. L’une et l’autre décrivent des traîtres qui lâchement abandonnent la lutte, alors que les vassaux restés fidèles au maître se pressent autour de lui et se sacrifient à ses côtés. Et l’un de ceux-ci, Leofsunu, qui reprend à deux cents ans d’intervalle, pour son propre compte, le mot du chef géate refusant de fuir l’espace d’un pied devant le dragon, Nelle ic… oferfleon fotes trem (Beowulf, v. 2525), promet avec une superbe vaillance : « ic heonon nelle Fleon fotes trym (Bataille de Maldon, v. 246-47), je ne veux pas d’ici reculer d’un seul pas ». Ainsi le dernier spécimen d’un chant épique conservé en langue anglo-saxonne et son premier chef-d’œuvre se consacrent chacun à la glorification d’un héros sans peur et sans reproche qui meurt noblement pour défendre sa patrie. Tous deux exaltent la notion du devoir accompli sans hésiter au prix de la vie elle-même, notion qui se retrouve comme le ressort caché des caractères généreux dans les plus sublimes productions de la muse anglaise.

W. Thomas.
  1. Appelée aussi La Mort de Byrhtnoth.