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II


La mythologie des Aryas védiques est étroitement liée à leur culte, et ces deux aspects de leur religion doivent être étudiés simultanément.

Le sacrifice védique, par les rites mêmes qui le constituent, ou tout au moins par la plupart des formules ou ces rites sont

    à MM. R. et Gr., pour l’accusatif pluriel vipah, le sens de « chevaux », qu’ils auraient pu déduire, avec autant de vraisemblance que ceux de « branches » ou de « flèches, » de l’idée radicale de « mobilité ». La vérité est que notre mot y désigne les « prières » ou les « hymnes » avec allusion à des chevaux, à des attelages. Nous verrons en effet que l’assimilation des prières à des attelages est une des idées les plus familières aux pontes védiques. Il suffira quant à présent de citer le vers VI, 35, 3 où se trouvent à la fois le substantif niyut et le verbe ni yu. Dans le second hémistiche de notre vers VIII, 19, 33 le prêtre se vante, en honorant Agni, « d’atteler les richesses des hommes comme ses hymnes », c’est-à-dire de s’en rendre maître comme il est le maître des hymnes qu’il dirige à la manière d’attelages. Deux comparaisons sont exprimées, ou plutôt, le terme intermédiaire étant supprimé, suggérées d’un coup, celle des richesses à des attelages, celle des attelages à des prières. Le terme intermédiaire est d’ailleurs suggéré lui-même par le verbe ni yu. — Or, la même figure, et c’est là le seul trait de ressemblance des deux passages, se retrouve au vers VI, 44, 6. L’idée des « branches » y est, non pas exprimée, mais suggérée par le verbe vi ruh « se ramifier » dans la formule « Indra, dont les faveurs sont comme les prières, vipah, quand elles se ramifient ». Ainsi ce passage qui, aux yeux de MM. R. et Or., établissait avec évidence le sens de « branches », contient simplement une allusion à la comparaison des prières des différents sacrificateurs, VIII, 5, 16, 4 des branches qui se séparent, VII, 43, 1 (cf. VIII, 13, 6, cf. encore II, 5, 4, et aussi VIII, 18, 17, et plus tard, les différentes çâkhâ des Vedas). La double comparaison forme ici d’ailleurs un sens intéressant : les faveurs d’Indra se ramifient pour répondre à la ramification des prières ; en d’autres termes, Indra exauce les prières de tous les sacrificateurs. — Reste le passage qui paraissait offrir un argument non moins triomphant en faveur du sens de « flèche », c’est-à-dire le vers X, 99, 6. Quand nous aurons vu la prière comparée à une lame de fer qu’on aiguise, VI, 47, 10, quand nous aurons de plus développé l’idée de l’efficacité toute-puissante de la prière, considérée comme l’arme des dieux, aussi bien que comme un moyen d’action en quelque sorte magique de l’homme sur la divinité, on ne s’étonnera plus que Trita, ce dieu tout particulièrement considéré comme un sacrificateur, comme un préparateur du Soma céleste, se serve, pour frapper le sanglier, c’est-à-dire le démon, d’une « prière à pointe de fer », X, 99, 6, ou simplement d’une prière « ferrée », acérée (cf. vâcâh… jyortiragrâ VII, 101, 1, giraç candrâgrâh, V, 41, 14, « paroles, chants brillants »), c’est-à-dire en somme, d’une prière tenant lieu de fer. Cette substitution au sens véritable d’un mot du sens qu’il suggère à côté du sien propre est fréquents chez M. R. et Gr. Or on voit que l’effet de cette substitution peut être, non-seulement d’altérer le tour de la pensée védique, mais d’enlever aux formules mythologiques leur signification la plus intéressante.