Page:Bergerat - Contes de Caliban, 1909.djvu/363

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— J’ai failli l’être vingt fois, ma bonne. Je marchai ainsi à l’aventure jusqu’à la nuit, et savez-vous, monsieur, où je m’arrêtai ? Aux portes de Versailles, où je fus fait prisonnier par un poste prussien. Mais j’aurai du moins jusqu’à mes derniers jours la consolation de pouvoir dire que, la trouée, moi, je l’ai faite !

Et il éclata d’un si bon rire, avec une joie si naïve, que je me sentis ému jusqu’au fond de l’âme. « Brave passementier, héros inconscient de cette Iliade moitié bouffonne et moitié navrante, sois béni ! pensai-je ! car toi, du moins, tu as fait ton devoir jusqu’au bout. Grâce à toi et à tes rares pareils, quels qu’aient été ses torts et quels qu’ils soient encore, la bourgeoisie s’est rachetée à jamais sur les sombres coteaux de Montretout et de Buzenval. »

— Monsieur mon roi, me dit tout-à-coup la petite fille blonde et rose, voici le bidon de papa, celui qu’il avait.

Et elle me le mit sur les genoux. Je pris le bidon, et, l’ayant débouché, je l’épanchai sur l’ongle de mon pouce. Une goutte, une seule, en roula, et, me levant je bus cette goutte à la Patrie !

Jamais vin ne me parut plus doux que cette larme de vinaigre.