Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 1, 1911, 3e mille.djvu/103

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lin était peu friand de nature, et il ne s’arrêtait guère aux étalages. Quelle ne fut donc pas ma surprise, lorsque tout à coup il me poussa le coude :

— Regardez ces deux hommes, me dit-il.

Et je vis, en effet, deux personnages fort différents l’un de l’autre, celui-ci maigre et rasé, celui-là corpulent et chevelu, qui s’extasiaient à l’envi devant les « pièces de gueule » colossales, exotiques ou autres, de la célèbre vitrine.

— Les connaissez-vous ? fis-je.

— De vue seulement et par leurs portraits.

— Qui sont-ils ?

— Des avocats, l’un Clément Laurier, l’autre Léon Gambetta. Ils ont un grand renom au Palais, le plus bel avenir, paraît-il, ils pourraient vous être utiles.

— À moi ?

— Mais oui, mais oui, est-ce qu’on sait ? Laissez-moi faire, et attendez-moi là.

Et délibérément il aborda les contemplateurs. J’entendis l’un d’eux s’écrier d’une voix sonore :

— Eh ! monsieur Coquelin, vous n’avez pas besoin de nous être présenté ! Toutes les fois que vous jouez du Molière, nous sommes dans la salle, Laurier et moi.

Et les mains se nouèrent.

Dix pas plus loin, il me disait :

— Voilà encore deux amis pour vous autres…


C’était au temps où il jouait La Pomme, de Théodore de Banville.

La Pomme était le premier ouvrage que le poète des Fourberies de Nérine, donnait à la Comédie-