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la haine contre « Napoléon le Petit », justifiée par la rancune, était encore consacrée par les lignes que Victor Hugo leur décerne, comme des brevets d’immortalité civique, dans le pamphlet dont je viens de citer le nom et qui était notre bréviaire. Ils s’appelaient Eugène Despois et Frédéric Morin, et je vous réponds qu’avec eux le pauvre Badinguet n’en menait pas large !

Tous deux étaient d’ailleurs des écrivains charmants dont les revues les plus académiques se disputaient la collaboration substantielle et diserte. Frédéric Morin qui, par la suite, devint préfet de la Défense nationale en Saône-et-Loire, mêlait en lui la foi du catholique à la philosophie du républicain doctrinaire et, de cette union conciliante, est sorti un petit livre intitulé Saint François d’Assise que Lamennais eût pu signer, car c’est un simple chef-d’œuvre. Nous l’avions surnommé : le Franciscain, d’abord à cause de cet ouvrage, et ensuite pour ses manières douces et sacerdotales et sa voix veloutée de charmeur d’oiseaux.

Quant à Eugène Despois, homme de haute stature, délibéré d’allures, toujours coiffé d’un large feutre romantique et étalant sur son gilet à la Robespierre l’honneur d’une barbe fluviale, toute en or, c’était le type de ces idéalistes de la liberté, révolutionnaires doux, qu’on a appelés les « quarante-huitards » et dont la République naïve, basée sur les trois vertus platoniciennes : le Vrai, le Beau et le Bien, fait hausser aujourd’hui les épaules aux chimistes de l’anarchie. Comme Frédéric Morin en tenait pour la Rome chrétienne, il n’en avait, lui, que pour la Rome païenne, et Virgile lui en disait plus long que l’Évan-