Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 2, 1912.djvu/238

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rinthe de couloirs où l’huissier le plus perspicace se fût égaré, lui et ses verges, jusqu’à ce jour du jugement dernier, qui ne sera pas précédé, lui au moins, de procédure. Non pas que l’artiste eût rien à craindre de ces officiers ministériels, puisque, déjà fort à l’aise, il gagnait encore tout ce qu’il voulait par ses eaux-fortes ; mais il avait horreur des raseurs et prétendait ne fréquenter, des Parisiens, que l’élite. Rien de plus rare que ses amitiés, si ce n’était ses admirations. Le statuaire Auguste Rodin était l’objet d’une de ces dernières, et ayant appris que je le connaissais, il me pria de le présenter à mon tour à ce maître, alors parfaitement ignoré, et qui ne groupait autour de lui que quelques zélateurs fidèles. C’était le temps où Auguste Rodin avait dessiné, pour l’édition de luxe d’Enguerrande, deux pièces michelangesques que les souscripteurs renvoyaient religieusement à l’éditeur, tant ils les trouvaient horribles, et ne voulant pas, disaient-ils, en déshonorer leurs exemplaires !

Un matin donc, je m’en fus prendre Rops à son labyrinthe, et je l’emmenai d’abord, sans lui dire où nous allions, chez certain mastroquet des environs du Trocadéro où je savais que Rodin déjeunait tous les jours, en blouse, comme un carrier, et même, lui expliquai-je, « comme un carrier qui n’a rien de… Belleuse ». Nous y retrouvâmes Octave Mirbeau, curieux, lui aussi, non seulement de Rodin, mais de Rops lui-même, puis les sculpteurs Dalou et Gaudez, et quelques instants après, une barbe fluviale et mosaïque épandue sur un bourgeron de travailleur, et étoilée de deux yeux rêveurs de somnambule, s’encadra dans la porte du chand de vins. C’était Rodin, tou-