Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/198

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la ville. — C’est très simple, je t’assure, on n’a qu’à élider les voyelles. Au lieu de Malborough, tu dis Malbrouk, comme dans la chanson, et ça y est. — Et l’accent ? — Le même qu’en Normandie, celui de Robert le Diable, avant Meyerbeer. Mais quel Londres veux-tu voir ?

Il ne pouvait être question, vu le peu de temps dont je disposais d’abord et mes goûts ensuite, que du Londres artistique. Ce que je savais, et par de Nittis même, de la vie hautaine, académique et « respectabilesque » des peintres et statuaires anglais étonnait ma philosophie bousingote, et je n’étais pas fâché de connaître les notaires d’art que notre pauvre Bastien allait avoir pour camarades. Pour savoir le reste, j’avais Dickens, Thackeray, Macaulay, je pouvais attendre un autre voyage d’outre-Manche. Dans ces conditions de temps mesuré le cab s’imposait, et de Nittis en arrêta un en levant la canne.

Le cab est le charme de Londres. À vide, il va dansant à la retape muette du client, et, chargé, il l’emporte d’un train léger et pimpant à travers les voies les plus encombrées, sans que le moindre accident soit à craindre. Juché dans le dos de la voiturette, ses longues guides tendues par-dessus la capote, comme des fils de trolley, le cabman est l’automédon le plus sûr et le plus habile qui soit au monde. Un petit judas percé dans le couvercle de la boîte roulante met en communication le cocher et le voyageur qui, d’un geste, indique la droite, la gauche ou l’arrêt, sans qu’il y ait à échanger une seule parole. Il me demeure inexplicable que tous les essais d’acclimatation de ce véhicule délicieux aient avorté à Paris. Peut-être est-ce parce qu’il ne