Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/200

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pays aussi orgueilleux de ses fastes ethniques que nous le sommes peu des nôtres. — Ici, on ne badine pas avec Wellington, m’avait dit sévèrement mon guide, et le précepte valait pour toutes les gloires, aussi bien artistiques que militaires, du Royaume-Uni. Le léopard et la licorne s’y regardent éternellement sans rire. Le grand homme anglais est grand homme tout le temps, même pour son domestique. Hélas, notre Bastien, j’y songe encore, qu’allait-il faire dans cette trirème !

Millais, né à Southampton, le 8 juin 1829, n’avait donc que la cinquantaine. Quoique sa mère fût Française et qu’il eût passé lui-même une partie de son enfance à Dinan, il ne parlait pas notre langue, soit par oubli, soit par système. M. Hudchinson m’en avait d’ailleurs avisé. Mais le drogman était là, disciple omnilingue de l’agence Cook à Pompéi.

Au son du tocsin, le maître était venu en personne à notre rencontre. Il était de très haute stature, de la même taille au moins que Flaubert, et comme le grand Rouennais, il attestait ainsi ses origines normandes. Il avait assurément, lui aussi, dans ses ancêtres un de ces géants Scandinaves dont la vue avait tiré des larmes à Charlemagne mourant. La tête fort belle, hellénique même et comme moulée sur le talon attique, dessinait sous un front d’autant plus vaste qu’il se découronnait un peu, une bouche fine et souriante, armée d’une pipette, fumée à foyer renversé, à la façon des matelots. Les yeux gris-bleu, ombrés d’une taroupe de sourcils très fournis, dardaient un regard mobile et interrogateur, mais bénévole. Tout d’ailleurs en ce grand diable, dont la timidité se manifestait par de grands gestes à la