Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/201

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fois empressés et contenus, démentait la légende de l’artiste anglais poseur et rengorgé qui court encore dans nos ateliers parisiens, et le costume même, ample et de teinte neutre, ajoutait à cette simplicité ravissante que j’ai retrouvée plus tard chez l’illustre comédien Henry Irving, encore un northman de six pieds.

Ce qui m’avait conquis tout de suite, c’était la pipette renversée d’abord, et ensuite que ce portraitiste à trois cent mille francs ne nous avait pas reçus la palette au pouce. Oh ! les grands peintres de théâtre qui vous reçoivent la palette au pouce, les armes à la main, en soulevant des tentures. Mais passons. — Je m’étais arrêté dans le vestibule, devant une vasque de marbre, vivier chantant de cyprins, que surmontait une pièce extraordinaire. C’était un phoque, grandeur naturelle, sur lequel ruisselait l’eau vive et que je m’attendais à voir plonger, en aboyant parmi les poissons rouges. Mais il était pétrifié, ou plutôt c’était une icône de phoque, en basalte, d’un travail illusionnant. Ma stupeur fit rire Millais aux larmes. Il en posa sa pipette et il se mit à témoigner sa joie à de Nittis par des exclamations où mon nom, veuf de voyelles, rendait à peu près la sonorité suivante : Eml’ Brgrt !… — Qu’est devenu ce phoque merveilleux et qui me dira pourquoi je le demande ?

Le salon où il nous introduisit, était le salon du home anglais dans son parfait caractère, grande baie quadrangulaire, en window, ouvrant sur la verdure d’un jardin, et là, à contre-jour, une dame assise, un travail d’aiguille à la main, et qui, immobile, sans lever les yeux, attendait nos salutations. C’était Mme John Everett Millais. On sait que par un pre-