Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 3, 1912.djvu/232

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— Combien lui donneriez-vous, à votre chroniqueur ? — Ce qu’il voudrait. — Fixez vous-même. — Non, dites ? — Quinze louis l’article. — Est-ce assez ? — Et vous le prendriez de ma main ? — Les yeux fermés. — Revenez demain. Je crois que j’ai votre affaire. — Son nom ? — Il le fera chez vous. — Est-ce qu’il n’en a pas ? — C’est un homme du monde. — Républicain, hein ? Pour Le Voltaire ! — Comme Voltaire lui-même, que dis-je, comme Jean-Jacques ! — Voltaire me suffit. — Nous n’êtes pas difficile.

Le lendemain il reparut. Gonry lui barrait la porte. — Le directeur vient précisément de sortir, à l’instant même. Il est aux îles Baléares ! — Et levant moi-même la consigne oubliée, j’allai prendre Jules Laffitte par le bras et je l’entraînai sur les boulevards. — Pouvez-vous vous asseoir cinq minutes ? — J’essaierai, fit-il. Et je le poussai dans le café Cardinal : — J’ai la chronique dans la poche. — Bravo, donnez. — Et il ouvrit son sempiternel portefeuille. — Oh ! pas encore. Comme vous y allez ! — Qu’y a-t-il donc ? — Je vous l’ai dit, l’auteur est un homme du monde.

Il me regarda, baissa la tête, réfléchit un instant, et, candide, fit : — Je comprends, c’est plus cher alors ?

Car telle était — elle l’est encore — l’idée que se font du papier imprimé la plupart de ceux qui en éditent, soit en feuilles volantes, soit en brochure. En littérature, celui qui n’en fait pas son métier et qui s’en « pique » seulement, leur paraît offrir des garanties de réussite bien supérieures à celles des professionnels. Quelles garanties ? On ne sait pas, mais l’attrait de l’amateur est irrésistible, et, s’il est des Quarante, on se l’arrache.